L’étude des déterminants de l’aptitude phénotypique renseigne sur l’écologie évolutive des organismes, et sur les pressions de sélection pouvant agir sur leurs traits phénotypiques. Chez les femelles mammifères, la taille corporelle est associée à un meilleur succès reproducteur, à travers une fécondité accrue, des soins maternels plus performants et une survie améliorée de leurs juvéniles. Atteindre une grande taille, néanmoins, implique des coûts et des compromis, car la croissance est un processus coûteux qui limite l’énergie restante pour d’autres fonctions. Ainsi, la croissance occasionne des compromis à court terme entre différents traits pouvant tous favoriser une meilleure aptitude phénotypique. Il est intéressant d’étudier les décisions d’allocation entre la croissance et la reproduction pour mieux comprendre l’évolution des stratégies d’histoire de vie, plus particulièrement chez un grand mammifère itéropare.
Mon projet de maîtrise visait à quantifier l’effet de la taille squelettique sur le succès reproducteur des femelles chez le kangourou gris de l’Est (Macropus giganteus). Ce modèle d’étude est particulièrement pertinent puisque les kangourous continuent de grandir pendant une grande partie de leur vie, prolongeant les compromis entre la croissance et la reproduction. Pour répondre à mes questions de recherche, j’ai utilisé les données de captures de femelles d’âge connu au fil des huit années de suivi, de 2008 à 2016, d’une population naturelle de kangourous au Wilsons Promontory National Park, dans l’état de Victoria en Australie. J’ai également étudié la composition du lait chez un sous-échantillon de femelles en 2014 et 2015, pour évaluer la variabilité des soins maternels chez cette espèce.
J’ai d’abord identifié les facteurs les plus importants expliquant la croissance des femelles adultes. Les femelles plus jeunes et plus petites avaient les taux de croissance les plus élevés, mais les femelles de petite taille plus âgées grandissaient moins que les plus jeunes, indiquant potentiellement une accumulation de coûts pour la croissance avec l'âge. J’ai également trouvé que la condition corporelle des individus était positivement corrélée à leur croissance squelettique annuelle, alors que les précipitations hivernales semblaient réduire celle-ci. Parallèlement, la fécondité d’une femelle était positivement expliquée par sa taille corporelle et son âge, mais l’effet de la taille corporelle s’estompait chez les femelles plus âgées. De plus, la condition corporelle d’une femelle augmentait la probabilité de donner naissance et la survie du juvénile jusqu’à 10 mois. Ces résultats suggèrent que la fécondité et le succès reproducteur entrent en compromis avec la croissance squelettique, spécialement chez les jeunes femelles de petite taille. Alors que la croissance somatique semble priorisée en début de vie, l’allocation à la reproduction semble augmenter avec l’âge, et ce, indépendamment de la taille.
L’étude de la composition du lait a révélé que les soins maternels des kangourous semblent fortement affectés par la qualité de leur environnement. En effet, les femelles allaitant pendant une année à faible productivité végétale produisaient un lait beaucoup plus faible en énergie que les femelles allaitant pendant une année plus productive, et ce, au même stade de lactation. De plus, les femelles atteignant le milieu de la lactation avant l’émergence printanière de la végétation produisaient un lait plus riche en lipides que celles allaitant vers la fin du printemps, suggérant que les femelles se reproduisant tôt ont dû puiser dans leurs réserves d’énergie au lieu de tirer l’énergie nécessaire à lactation de leur environnement. J’ai également trouvé que les femelles de plus grande taille squelettique produisaient un lait plus riche en protéines, suggérant que l’allocation des ressources à la reproduction augmente lorsque le compromis avec la croissance est plus faible. Finalement, les mères en bonne condition corporelle ayant un fils produisaient un lait plus riche en protéines que les mères de filles, suggérant un mécanisme adaptatif d’allocation de ressources en faveur de la croissance des mâles.
En conclusion, les femelles atteignant une grande taille squelettique tôt dans leur vie ont une meilleure fécondité spécifique à leur âge. Comme les conditions environnementales expliquent en partie la variabilité en croissance annuelle chez les femelles adultes, les conditions précoces de vie auront potentiellement des répercussions à long terme sur le succès reproducteur à vie, en affectant les taux de croissance avant l’atteinte de la maturité. Finalement, la stratégie de lactation des kangourous semble être fortement influencée par la disponibilité de ressources, renforçant l’hypothèse que ces mammifères possèdent une stratégie de reproduction conservatrice et dépendante du statut nutritionnel de la femelle. Mes résultats offrent aussi une explication de la modulation de la composition du lait selon le sexe du jeune, montrant que les femelles de meilleure qualité phénotypique ont avantage à allouer davantage de ressources à leur progéniture mâle, pour augmenter leur succès reproducteur. Les prochains travaux pourront bénéficier des années additionnelles de suivi de cette population pour investiguer le succès reproducteur à vie et quantifier l’importance des effets cohorte.
Identifer | oai:union.ndltd.org:usherbrooke.ca/oai:savoirs.usherbrooke.ca:11143/10567 |
Date | January 2017 |
Creators | Quesnel, Louise |
Contributors | Festa-Bianchet, Marco |
Publisher | Université de Sherbrooke |
Source Sets | Université de Sherbrooke |
Language | French, English |
Detected Language | French |
Type | Mémoire |
Rights | © Louise Quesnel |
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