Cette recherche s’inscrit dans le domaine de la fiabilité des soins en médecine et vise à développer une nouvelle approche de la sécurité : l’ingénierie de la résilience. La thèse défendue est que la résilience d’un système, c'est-à-dire son aptitude à fonctionner dans des conditions variables prévues ou non, réside dans la capacité des opérateurs de ce système à articuler la gestion des risques avec la gestion de leurs propres ressources. Les analyses, menées en collaboration avec des anesthésistes en pédiatrie, cherchent à comprendre comment ceux-ci agissent pour permettre aux patients de bénéficier de soins dans des conditions optimales de confort et de sécurité, en dépit des aléas liés à la complexité et à l’incertitude du fonctionnement du corps humain. Trois études empiriques ont été conduites pour défendre cette thèse. Outre les méthodes d’observation de l’activité réelle, elles s’appuient sur des techniques d’entretien (technique des incidents critiques et techniques des protocoles verbaux) et sur des analyses d’activité sur simulateur. La première étude permet de caractériser les aléas et les perturbations que doivent gérer les anesthésistes dans leur pratique quotidienne. Elle met en évidence deux types de situations imprévues (les situations possibles et les situations impensées) et montrent que la façon dont ces situations sont prises en charge n’est pas seulement liée à la nature des perturbations en elles-mêmes mais dépend surtout de leur anticipation par les opérateurs en situation réelle. La seconde étude s’intéresse alors aux mécanismes d’anticipation des « situations possibles » par les anesthésistes. Elle montre que la définition d’une enveloppe de situations possibles repose non seulement sur l’évaluation des risques pour le patient, à partir des règles et des connaissances générales du domaine, mais aussi sur l’évaluation et la gestion des ressources de l’équipe. L’objectif des anesthésistes est en fait plutôt de concevoir des situations ajustées aux ressources des différents opérateurs qui interviennent et interviendront. L’anticipation prend donc en compte les ressources du collectif. De plus, iI semble que cette gestion ne vise pas uniquement à maîtriser la situation à court terme, mais aussi le développement des ressources à plus long terme. La troisième étude concerne l’occurrence, pendant l’intervention, d’une « situation impensée » qui sort de l’enveloppe des situations possibles conçue a priori. Trois modalités de prise en charge de ces situations impensées ont été identifiées : la gestion « prudente », la gestion « déterminée » et la gestion « débordée ». L’analyse comparative de l’activité des équipes sur simulateur montre que ces trois types de prise en charge relèvent de modalités de gestion différentes des ressources cognitives. Les actions menées par les équipes face aux perturbations impensées ne visent pas seulement à gérer dans l’immédiat les risques encourus par le patient, mais aussi à conserver une « maîtrise durable » de la situation, en évitant d’accumuler des incompréhensions au sein du groupe et en adaptant la prise en charge aux ressources cognitives des coéquipiers. Ainsi, la gestion de leurs propres ressources (compétences, savoirs, savoir-faire, règles de métiers, etc...) par les opérateurs est un élément clef de la résilience. Ces résultats permettent d’une part, d’identifier des conditions organisationnelles favorables à la mise en oeuvre de ces processus de gestion des ressources développés par les opérateurs et, d’autre part, de proposer des méthodes de prévention innovantes des risques liés aux soins, tels des systèmes de formation sur simulateur. Alors que la gestion des risques est généralement abordée sous l’angle des compromis de but entre « objectifs de performance » et « objectifs de sécurité », la discussion de ces résultats invite à dépasser cette opposition classique et à questionner les modèles de performance dans lesquels s’inscrivent les démarches de prévention. / This research, which addresses patient safety, aims to develop a new approach to safety: resilience engineering. The thesis assumes that the resilience of a system, that is to say its ability to function under varying conditions expected or not, lies in the operators’ ability to articulate the management of risk with the management of their own resources. The analysis,conducted in the context of pediatric anesthesia and in collaboration with anesthetists, seeks to understand how professionals act in order to provide care in optimal conditions of comfort and safety, despite the uncertainties related to the complexity and the uncertainty of the human body. Three empirical studies were conducted to investigate this thesis. In addition to the observation of real work activity, interview techniques (critical incident technique and verbal protocols technique) and analyses of simulations were used. The first study allows the uncertainties and disruptions to be managed by anesthetists in their daily practice to be described. Two types of unexpected situations (possible situations and unthought situations) can be met. The way in which these situations are handled is not only related to the nature of the disturbances themselves, but mainly depends on their anticipation by operators in real conditions. The second study concerned the anticipation mechanisms of "possible situations" by the anesthetists. Results indicate that the definition of an envelope of possible situations is not only based on an assessment of patient’s risks, supported by rules and general knowledge in the field, but also on the evaluation and management of the team’s resources: the goal of anesthetists is to design situations adjusted to the resources of the various operators involved (themselves included) and/or that will be involved. Therefore, the anticipation takes into account the resources of the collective. Furthermore, this management aims not only at mastering the situation in the short term, but also at developing resources in the longer term. The third study concerns the management of an “unthought situation” which trespasses the envelope of a priori possible situations. Three ways to handle these unthought situations were identified: “cautious” management, “determined” management and “overwhelmed” management. The comparative analysis of the teams’ activities shows that the management of cognitive resources varies according to the way in which situations are handled. When facing unthought situations, teams not only attempt to manage the immediate risks to the patient but also to maintain a “sustainable control” of the situation, by avoiding misunderstandings within the group and by adapting care to teammates’ cognitive resources. Thus, the management of their own resources (skills, knowledge, know-how, rules of the trade, etc...) by operators is a key element for resilience. These results allow, on one hand, to identify organizational conditions favorable to the implementation of these processes of resource management developed by the operators and, on the other hand, to propose innovative methods for risk management in healthcare such as simulator training. While risk management is generally discussed in terms of “goals trade-off” between performance objectives and safety objectives, these results challenge this traditional opposition and question the models of performance underlying prevention methodologies.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2011CNAM0773 |
Date | 06 June 2011 |
Creators | Cuvelier, Lucie |
Contributors | Paris, CNAM, Falzon, Pierre |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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