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Le refus de la violence. Vies de femmes, entre l'Algérie et la FranceLebas, Clotilde 15 November 2013 (has links) (PDF)
Ma thèse découle d'un vif intérêt pour les expériences et les explorations à même de brouiller les lignes de partage entre les sexes. Anthropologue, je me suis attachée à saisir ce trouble via une enquête permettant de mettre à jour les modalités de l'incorporation des assignations de l'ordre sexué et les possibles créés par celles qui, à un moment donné de leur vie, les ont rejetées. J'ai tout d'abord observé, aux côtés de féministes algériennes installées à Paris, la formulation d'une énonciation particulière. Tout en relayant l'actualité du mouvement féministe qui, en Algérie, dénonçait publiquement les violences faites aux femmes, elle dévoilait une tentative de dénoncer les violences subies par des femmes se réfugiant en France sans pour autant faire le jeu de l'islamophobie. J'ai ensuite cherché à rencontrer des femmes ayant fui leur domicile en raison des coups, des insultes et des humiliations qu'elles y subissaient. Je me suis alors rendue, en France et en Algérie, dans les associations vers lesquelles m'orientaient mes précédentes rencontres. Enfin, je me suis éloignée de ces cadres pour suivre des femmes dans leur mouvement infini pour reconfigurer leurs vies. Me saisissant de leurs témoignages, j'ai montré comment, dans un contexte de migration, les logiques de l'incorporation des assignations de l'ordre sexué sont troublées par le refus de la brutalité et de l'autorité masculines. Pour appréhender ce refus dans toute sa complexité, il importe de le considérer comme processus. Longtemps, fuite et refus ont semblé se superposer. Ce n'est qu'à mesure que nos relations se tissaient qu'elles m'ont livré la série d'allers-retours ayant précédé un départ irréversible. Revenir n'a pour autant jamais signifier consentir. Cela a nécessité des mesures incessantes visant à anticiper coups et injures. Et pour que la fuite opère, il leur a fallu anéantir ce régime d'anticipation propre à la peur. Ce qui les a poussées à fuir a ainsi excédé la répétition des brimades, des insultes et des humiliations. Si elles ont mis un terme à un quotidien dont elles s'étaient jusque-là accommodées, c'est que des désirs continuaient de les animer - vivre une sexualité épanouie, témoigner pour inciter les femmes des générations suivantes à ne pas reproduire ce qu'elles-mêmes avaient fait (rester en pensant que la situation allait s'arranger)... La fuite a également nécessité un lieu où s'arrêter pour entrevoir un autre sens à donner à leur vie. C'est là qu'histoires individuelle et collective se sont croisées. Toute prise de décision n'est que l'aboutissement d'une série de choix qui s'inscrit dans une conjoncture historique donnée. Dans les années 1990, des militantes algériennes se sont réapproprié la rhétorique étatique de dénonciation des violences commises par des groupes armés pour proposer une autre énonciation : toute forme de violence, et non la seule armée, est intolérable. Elles ont également créé les lieux dans lesquels des femmes ont pu se réfugier. Depuis, des femmes transitant par ces lieux ont pu y trouver un abri, condition d'effectuation du refus. Dès lors, la puissance contenue dans ce refus initial a pu être libérée, créant un nouveau possible : énoncer une multitude d'autres refus, ce qui ne peut se comprendre qu'au regard des épreuves auxquelles ces femmes ont été confrontées. En effet, en se détachant d'une figure d'autorité masculine, elles ont été exposées au stigmate de la rupture, contraintes à vivre une autre forme d'isolement et d'exclusion. Capté par les institutions auxquelles elles demandaient protection, le sens de leur fuite a été inséré dans la catégorie préexistante des victimes d'un ordre sexué rétrograde. Ces mécanismes de captation ont invisibilisé la part du politique contenue dans le refus. De plus, elles ont été reléguées dans la sphère de la domesticité pour survivre. En d'autres termes, la reconfiguration de leurs vies s'est retrouvée piégée par le redéploiement, en France comme en Algérie, des assignations de l'ordre sexué. Refuser de se marier pour obtenir des papiers ou de faire des ménages pour subvenir à ses besoins sont autant de refus qui ont ainsi pris forme et sens dans ce jeu de distance et de rapprochement qu'elles ont instauré avec le reste des sociétés les marginalisant. Et dans les conditions même de la survie, elles ont dû modifier les modalités de leurs déplacements dans la sphère publique, en dépassant leurs peurs. Dans cette distanciation d'avec l'ordre sexué s'est alors opéré un déplacement dans la perception et la qualification d'elles-mêmes comme sujets. Objets de volontés masculines d'appropriation, elles sont devenues sujets de désirs et de projections dans l'avenir. À partir des multiples bifurcations empruntées par des vies irrémédiablement transformées par le rejet de l'autorité et de la brutalité masculines, ma thèse a ainsi proposé une exploration de la mémoire de corps qui portent en eux le résidu des assignations de l'ordre sexué.
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