Dans l’histoire de la construction philosophique de l’individualité, le système stoïcien, le plus unitaire et déterministe qui soit, semblait en principe être le moins susceptible d’engendrer une conception forte de l’individu. Celle-ci suppose en effet une séparation qui, dans le cas de l’individualité humaine, s’incarne dans une « volonté » propre. Or pour les Stoïciens, chaque être concourant inexorablement comme partie du tout à l’unité organique du monde, il paraissait difficile de l'en dégager, même en tenant compte de l’autonomie proclamée de l’assentiment, principe de jugement et d’action. Notre recherche espère montrer que c’est pourtant la philosophie stoïcienne qui construit une combinatoire conceptuelle inédite qui n’avait jamais été jusque-là à ce point unifiée et qui en vertu de la nature systématique de cette pensée conduit de l’unicité qu’elle reconnaît à tout être, ancrée dans un corps, à la personnalité qui réalise cette unicité au niveau de l’éthique, du fait d’une capacité subjective qui n’est plus non seulement quelque chose de l’individu mais ce à quoi il s’identifie, son principe d’identité personnelle. Nous nous attachons à mettre en évidence les conditions qui ont rendu possible ce « surgissement » de l’individu à la faveur d’une série de mutations internes au système stoïcien mais aussi d’une mutation politique et culturelle majeure, celle que constitua l’Empire romain. A travers ces mutations, la physique stoïcienne de l’identité, sous-bassement de la conception stoïcienne de l’individu, produit diachroniquement et synchroniquement, dans le champ de la psychologie et de l’éthique, une véritable conception de la subjectivation avec la notion sénéquienne de voluntas et le concept épictétéen de prohairesis qui en viennent à occuper la centralité dévolue au destin dans le premier stoïcisme. Par-delà la singularité des apports sénéquien et épictétéen, la voluntas et la prohairesis font de la faculté de choix le principe d’identité personnelle : l’identité personnelle est décrite comme celle du sens que nous décidons de donner à notre existence qui définit celle ou celui que nous sommes en propre et qui autorise et façonne la plasticité d’un usage de soi qui réside exclusivement en nous. Les usages stoïciens de la métaphore théâtrale permettent enfin d’éclairer cette conception de la subjectivité sous un jour irréductible : ils déploient chacun à leur manière la dialectique de la distance et de l’engagement au cœur du rapport à l’existence, et, avec eux, la non- coïncidence constitutive du rapport à soi qui situe l’identité dans l’entre-deux d’un rapport d’identification toujours à rejouer. / The Stoics, who elaborated the most coherent deterministic system in the history of philosophy, seemed unlikely to produce a concept of the individual. Such a concept is necessarily founded on separateness and implies personal agency. And although the Stoics insisted on the autonomy of assent as a principle of judgement and of action, they believed that each being contributed to the organic whole of the cosmos, making it difficult to consider beings separately from that whole. This inquiry seeks to show that the Stoics nevertheless elaborated a previously unexamined complex of notions that - as a result of the systematic nature of the Stoic thought - moved from the idea of uniqueness of all beings, to personality, which achieves uniqueness on an ethical level. Personality requires agency, which is not of the individual, but is instead that with which the individual is identified. It is the principle of personal identity. We will examine the conditions that enabled the “emergence” of the individual thanks to a series of transformations in the Stoic system as well as another major political and cultural transformation, the constitution of the Roman Empire. As a result of these changes, the Stoics’ conception of the individual, founded on their physical conception of identity, produced - diachronically and synchronically - a notion of both psychological and ethical subjectivation. Seneca’s notion of voluntas and Epictetus’s concept of prohairesis came to occupy the central position once held by fate for the early Stoics. Both these contributions were highly original, but voluntas and prohairesis further identified the principle of personal identity with the faculty of choice: personal identity was described as the meaning we decide to give our lives, defining who we are. It conditions our adaptability and shapes the way we make use of what is irreducibly ours. The Stoics’ use of the actor metaphor sheds light on the nature of subjectivity since it foregrounds the gap between the actor and his role. The dialectic between disengagement and commitment that is at the heart of the relationship to existence, and the consequent discrepancy in the relationship to oneself, leaves identity in the entre-deux of a continually renewed attempt at identification.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2016BOR30052 |
Date | 13 December 2016 |
Creators | Bourbon, Marion |
Contributors | Bordeaux 3, Bermon, Emmanuel, Lévy, Carlos |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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