L'esclavage constitue le chronotope de "Tituba" de M. Condé et de "Beloved" de T. Morrison. Il est un héritage paradigmatique dans les autres œuvres de ces auteures, ainsi que chez Alice Walker et Gisèle Pineau, déterminant les rapports raciaux contemporains. La fragmentation du corps esclave convoque le motif de la couture, entre tissage conteur, re-membrement du corps social, et reconfiguration d'une tâche traditionnellement féminine. La mise en exergue du pouvoir performatif des mots des maîtres rappelle l’historicité et la dimension politique de l'invention du racisme dans le régime plantocratique. L'exemple de la beauté féminine et de sa racialisation illustre l'intrication complexe de la construction du genre et de la race. Mais le récit du passé esclavagiste, s'il peut éclairer et expliquer le présent, n'est fait qu'au prix d'un combat douloureux contre divers processus de refoulements, individuels et collectifs. Si "Beloved" et "La couleur Pourpre" rappellent le rôle essentiel de la réminiscence, "Paradis", "Morne Câpresse" et "Heremakhonon" mettent en scène des hypertrophies mémorielles problématiques ou drolatiques. La critique de la prétention historienne à l'objectivité y participe d'une remise en cause globale de la scientificité et de l'héritage des Lumières. Les ambivalences de la postmémoire s'opposent à la sacralisation contemporaine de la littérature mémorielle ou testimoniale, et la hantise postcoloniale se donne à voir sous un jour nouveau, ironique. L'analyse des maternités dialectiques dans "Beloved", "Tituba" ou "Rosie Carpe" permet de réfléchir le lien entre narration de la nation, racialisation de la maternité et contrôle du corps des femmes. Une lecture des œuvres du corpus à l'aune du concept d'intersectionnalité permet d'envisager une déconstruction globale de la féminité libérée de l'injonction à la sexualité reproductive. Au croisement du pouvoir de donner la vie et de son refus, le personnage de la sage-femme est récurrent. Souvent accusée de sorcellerie, elle nourrit une mythologie féminine qui peut retourner le stigmate magique. Fruit de rivalités dans les champs médicaux et religieux, la figure de la sorcière chez Toni Morrison, Maryse Condé ou Marie NDiaye est une invention interculturelle dont la force performative et parodique ébranle les catégories littéraires. Issus du traumatisme de l'esclavage, les romans étudiés esquissent les contours d'utopies concrètes. Leur dimension totalitaire et séparatiste cependant se révèle dans le visage grimaçant de l'espérance eschatologie contemporaine : la secte. Si la projection dans le futur semble ainsi dérisoire, le retour en un espace premier, refuge utérin et remontée dans le temps, s'abîme dans l'impossibilité du retour en Afrique. La Négritude césairienne est ainsi mise à distance, tandis que les espoirs de la Créolité semblent battus en brèche par une littérature récusant l'utopie post-raciale. Les migrations contemporaines et les douleurs de la condition exilique sont narrées sans idéalisation de la mobilité, tandis que les stratégies narratives des auteures diffèrent, tout en se retrouvant dans un désir de révéler en même temps que de dépasser la ligne de couleur. / Slavery is the chronotope of "Tituba" by M. Condé and "Beloved" by T. Morrison. Slavery is a paradigmatic heritage in other novels by these authors, as well as in Alice Walker's and Gisèle Pineau's art ; it determines the contemporary racial relationships. The splitting up of the slave's body calls to mind the pattern of sewing, narrative weaving, re-membering of the social body, and reinventing a traditionally feminine work. The highlighting of performative power of the master's words reminds us the historicity and the politic aspect of the invention of racism in the plantation system. The example of women's beauty and its racialization illustrates the complicated co-construction of gender and race. The writing of past history of slavery points out and explains the present time, but it requires a painful fight against various processes of individual and collective repression. "Beloved" and "The Color Purple" remind us of the importance of rememory, while "Paradise", "Morne Câpresse" and "Heremakhonon" tell about memory in excess. The criticism of historian claim for objectivity belongs to a global questioning of science on the one hand, and of the heritage of Enlightenment on the other. The ambivalences of postmemory confront the contemporary sacralization of memorial and testimonial literature. Postcolonial haunting is seen in a nex light, quite ironic. The analysis of dialectic motherhood in "Beloved", "Tituba" or "Rosie Carpe" allows us to conceptualise the link between national storytelling, racialization of motherhood and political control of women's bodies. Reading and analysing the novels with the concept of intersectionality shows a global deconstruction of womanhood, freed from the stress of reproductive sexuality. At the crossroad of women's power to give birth and death, the midwife is a recurring character. The midwife is often accused of being a witch, and she belongs to a feminine mythology that can turn the stigma around. The witch is born from rivalry in both religious and medical fields. In Toni Morrison's, Maryse Condé's or Marie Ndiaye's novels, the witch is an intercultural invention ; her parodic and performative strength undermines literary categories. Born from the trauma of slavery, the novels outline the pattern of concrete utopias. The totalitarian and separatist aspect of these utopias appears in the grinning face of the contemporary eschatological hope: the sect. Therefore any hope of a better future seems to be ridiculous ; when the return to a primary space, turning back in time, is dying in the impossible way back to Africa. The "Négritude" of Aimé Césaire is dismissed, and so are the hopes of "Créolité", by a literature that rejects post-racial utopia. There is not any idealization of movement in these novels, which tell contemporary migrations and pains of exile condition. Although the narrative strategies are different, they all intend to expose and overcome the color line.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2018BOR30038 |
Date | 05 October 2018 |
Creators | Monbeig, Fanny |
Contributors | Bordeaux 3, Engélibert, Jean-Paul |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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