"Thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l'obtention du grade de Docteur en droit (LL.D.)" / Cette suite d'essais analyse la conception de la monnaie en droit, cherchant à isoler l'originalité
de sa nature abstraite. La tradition juridique caractérise la monnaie à la fois comme un fait et
comme un droit parce qu'elle présuppose un sens substantif au nom commun 'monnaie', étant
ainsi incapable d'admettre que la monnaie, par sa place unique dans les catégories du droit, est
le mécanisme qui suppose l'avenir indéterminé en y enchâssant le présent.
La difficulté de la monnaie est que, comme catégorie, elle n'est pas incluse aux catégories
usuelles de droit privé. Son caractère abstrait l'empêche d'ailleurs d'être incluse parmi les
objets qui ont une extension. La monnaie se définit plutôt par négation relativement aux
catégories usuelles. Elle est donc reconnaissable entre toutes. Dans la relation sujet-objet, la
monnaie versée n'est évidemment pas un sujet. Dans son sens strict, la monnaie réfère
aujourd'hui au papier-monnaie. Il est vrai que ce dernier existe matériellement puisqu'il est
tangible. Mais paradoxalement, en tant qu'objet, la monnaie est ni une somme, ni une
obligation en nature, ni un bien, ni une représentation de dette, ni une mesure, ni consomptible,
ni fongible au sens pertinent de ces mots. Comment saisir la substance d'une notion qui se
soustrait aux catégories usuelles de la doctrine? Voilà la difficulté fondamentale de la thèse.
Répétons son mode original de définition: la monnaie n'est pas identique à une somme due,
mais - en étant payée - elle en éteint une; conversement, la somme due n'est pas identique à la
monnaie perçue, mais -lorsque payée en trop - cette dernière est déclarée indue et sujette à
répétition (l'indu devient dû). La définition de la monnaie procède par 'corécurrence' : elle
définit quelque chose d'indéterminé puisqu'un membre de la définition réfère à l'autre et viceversa.
Sa nature s'exprime par sa fonction dans la structure des prestations. Mais la doctrine la
traite d'abord comme une somme due, sans distinguer outre mesure ce type de dette des autres
prestations. Or, à titre d'exécution d'une obligation, une somme d'argent non seulement éteint
d'autant les montants, dus à une époque ou l'autre, mais, puisque ces derniers sont appariés aux
obligations en nature en tant que prix dû en contrepartie des prestations caractérisées à être
effectuées, la perception des sommes d'argent conduit encore à la mobilité des biens parmi les
personnes. D'où le paradoxe: une somme d'argent est destinée à circuler précisément pour être
la fin des sommes dues.
La doctrine enseigne la thèse unitaire du paiement des obligations (en son acception large du
droit civil) : sont mis dans un même sac les faits exécutés pour satisfaire à des obligations en
nature et les paiements de sommes d'argent dues. Or, elles sont en premier dues, puis payées.
Ils sont dits former un ensemble. Ce sac est le temps lui-même. Il s'agit d'une interprétation de
l'univers des prestations, précisément une interprétation de la notion d'univers où l'actualité
homogène d'un ensemble exclut de faire une place à l'éventualité de valeurs futures par
contraste aux valeurs passées. Pour réduire la notion d'univers à celle d'ensemble actuel,
l'astuce est de fermer la dualité 'ensemble/membre' en substituant au membre l'ensemble: l'un
des objets inclus à l'ensemble doit être à la fois un élément existant de l'ensemble et la
collection de tous ses éléments, constituant ainsi la jonction substantive sous-jacente à cette
dualité.
IV
Cet objet fondateur est d'habitude nommé le zéro de l'ensemble. Traitant ainsi l'ensemble des
exécutions des obligations, il doit y avoir un élément qui ait à la fois la nature d'une promesse et
celle d'un fait. Cet élément est la monnaie. Ainsi, la monnaie a une nature double, à la fois
concept et référent du concept. La somme due est exécutée en monnaie et, conversement, la
monnaie est la somme transférée à titre de paiement: substituant une définition dans l'autre,
l'exécution de la somme due est la somme transférée, une formule conduisant à la régression
infinie. Qui donc est le débiteur de cette somme transférée depuis aussi longtemps que la
monnaie a circulé et circulera? La difficulté conceptuelle de la monnaie est de comprendre
cette métamorphose, où l'exécution d'un fait en satisfaction d'une obligation se révèle elle
même être une promesse. Pourquoi alors distinguer une obligation et son exécution? La
monnaie cumule la nature catégorique d'une chose matérielle délivrée - autrefois l'or,
aujourd'hui le papier-monnaie - et la nature d'une somme due; cette façon de penser mène à
réifier les dettes, à leur conférer une existence matérielle. Mais devoir l'argent est
fondamentalement la durée du terme d'une relation entre deux personnes. Et payer la monnaie
est l'extinction de ce terme. Alors paradoxalement, l'exprimant dans une dualité catégorique, la
monnaie a une durée et en même temps n'en a pas.
Cette postulation d'une union des termes opposés d'une dualité n'est pas sans précédent. Pour
aider le lecteur à s'en rendre compte, je documente que le thème de la migration de la valeur
pécuniaire des choses par la médiation de la monnaie dans le paiement des sommes dues
rappelle celui de la métempsycose (migration de l'âme) utilisée pour conceptualiser le
fondement de la Couronne médiévale, le don de Dieu qui sacrait la continuité des règnes
successifs d'une lignée héréditaire de régents. À cette époque, on conceptualisait la continuité
historique d'un peuple par les deux corps du roi; sa nature cumulait à la fois celle d'un individu
et celle de l'ensemble des individus soumis à son règne. Unique entre tous, on considérait que
l'un des individus était un ensemble d'un. Cette attitude platonique était crue nécessaire en
droit public pour résoudre la difficulté conceptuelle de la continuité historique d'une
communauté en dépit de la nature temporelle de ses membres; elle recevait son écho en droit
privé.
La thèse unitaire du paiement d'obligations - où, tout comme en économique, la capacité de
permutation de biens est elle-même considérée être un bien ordinaire - semble reposer sur cette
même conception d'une nécessaire nature double. Dans l'univers des prestations, selon la
doctrine, un ensemble infini de valeurs successives formées sur une période de temps indéfinie
est considéré être fondé sur un objet transcendant qui cumule les faces opposées d'une dualité:
à la fois somme (d'argent) et chose, à la fois droit et fait accompli en exécution d'une
obligation, à la fois fait et valeur future. Ce paradigme traditionnel est indifférent à la dualité
des prestations: non pécuniaire et pécuniaire. TI y arrive en substantivant la non-existence
d'une somme.
L'explication proposée ici en est une de structure. L'univers des prestations serait plutôt une
dichotomie de deux dualités distinctes: 10 une dualité catégorique, celle de l'exécution de
prestations particulières - où avoir fait quelque chose et ne pas l'avoir fait sont des action et
abstention caractérisées, et 20 une dualité modale (circulaire), devoir un montant libellé en
iv-a
devise ou (exclusivement) ne pas le devoir, l'avoir payé ou non. L'obligation de livrer une
prestation caractérisée à quelqu'un est appariée à la somme d'argent due par ce dernier en
contrepartie de cela; on alterne d'une obligation non pécuniaire à la promesse de payer un
montant d'argent sans que quiconque puisse cumuler le beurre et l'argent du beurre à un instant
donné. Mais encore, une somme due en suit une autre au travers de la monnaie, cette dernière
étant toujours le revers de la somme due. Il n'est pas nécessaire de dire que la monnaie existe,
ni de dire qu'elle n'existe pas; il suffit de dire qu'elle éteint la somme due. Non seulement la
somme due - versée (renversée) en monnaie - est éteinte, mais encore par le nominalisme elle
peut toujours acquitter de nouveau une somme d'autant; il suffit qu'un créancier accepte qu'on
la lui doive plutôt que de s'en remettre au troc de choses existantes. Cette nouvelle perspective
du paiement des obligations distingue deux types de raisonnements. La vérification catégorique
rétrospective d'une exécution en nature survenue se démarque de la modalité où la conséquence
juridique de l'extinction d'une somme due se retourne en la possibilité a priori de réitérer cette
conséquence encore contre une somme pouvant pourtant n'être pas encore déterminée. La
possibilité d'une continuité historique n'a pas la nature finie d'un fait.
L'objet qu'est la monnaie déborde de la notion ordinaire d'objet puisqu'il est circulaire: la
'monnaie' est "éteindre une somme (due) puis (est encore) monnaie". Dans la lignée héréditaire
des sommes, constituées pour être éteintes, éteintes pour être constituées, la monnaie est ni le
prédécesseur, ni un successeur particulier; elle est la fonction qui ouvre continuellement
l'éventualité d'autres successeurs. La monnaie est une abstraction et sa nature unique est
confirmée au Canada depuis 1967. Une fois la convertibilité du papier-monnaie abandonnée, la
monnaie n'est plus une promesse de payer: la banque centrale n'est plus tenue de délivrer l'or à
la demande du porteur, ni d'échanger le billet de banque en billets du Dominion. Le papiermonnaie
est, depuis, trivialement remplacé seulement par du papier-monnaie. Enfin,
l'abstraction monétaire donne à la banque centrale une personnalité morale inédite. Si la
Couronne est créancière des uns et débitrice aux autres, alors en contraste la banque centrale qui
n'est pas une banque - est ni créancière, ni débitrice du papier-monnaie.
La problématique de l'inclusion de la monnaie dans les catégories traditionnelles du droit a une
solution inédite. La monnaie s'offre en complément des concepts du discours juridique.
L'encaissement d'une somme due emporte comme conséquence la fin de son terme, mais encore
il en appelle à nouveau une autre, éventuellement. Ainsi, la monnaie est le bain de
renouvellement des sommes. Sa qualification ni ... ni... louvoie entre les deux termes en les
niant alternativement. / This series of essays analyses the concept of money in the law, seeking to isolate its unique and
highly abstract nature. Traditionallaw teaching characterizes money both as a fact and as a
right premised as it is on the idea that common nouns like 'money' must have substantive
meaning; it is thereby unable to accept that money, by virtue of its unique place amongst the
categories of private law, is the mechanism supposing the indeterminate future by embedding
the present into it.
The difficulty with money is that, as a category, it is not included amongst the usual categories
ofprivate law. Its abstract character prevents it from being included amongst objects that have
extension. Rather money is defined by negation with respect to the usuallegal categories. It is
thereby uniquely recognizable. In the subject-object relationship, paid money is obviously not a
subject. In its strict meaning, money refers today to paper-money. It is true that the latter does
exist physically because it is tangible. But paradoxicalIy, as an object, money is neither a sum
owed, nor an obligation in kind, nor a good, nor representing a debt, nor a measurement, nor
consumable, nor fungible in the relevant sense ofthose terms. How does one capture the
substance of a notion that defies the usual categories of legal discourse? That is the
fundamental difficulty of the thesis.
The entirely unique way of defining money bears repeating: Cash money is not identical to a
sum owed but extinguishes one as it is being paid; conversely, a sum owed is not identical with
money received, since when money is paid without obligation, the sum can be recovered as
undue (the undue becomes due). The definition ofmoney proceeds by 'corecurrence': it defines
something indeterminate, in that one definition refers to the other and vice versa. Its nature
stems from its function in the structure of prestations. But the legal scholarship treats it
principally as a sum owed, without further distinguishing this type of debt from other
prestations. Now, as the performance of an obligation, a sum ofmoney not only as much pays
off any amount, due at one time or another, but, because those are paired to obligations in kind
as the price owed in consideration ofparticular performances to be accomplished; the cashing of
sums of money still conducts the movement of goods among persons. Whence a paradox: A
sum of money is destined to circulate precise1y to extinguish sums (due).
Legal scholarship generally teaches the thesis of unity of performance of obligations (payment
in its broad civillaw meaning): AlI acts accomplished in the performance of obligations in kind
and all payments of sums of money are put in the same bag. Now, they are first owed, then
received. These operations are said to form a single set. This bag is time itself. 1t is an
interpretation of the universe of prestations, more precise1y an interpretation of the notion of
universe where the homogeneous actuality of a set excludes to give place to the possibility of
future values by contrast to past values. To close the notion of a universe to that of an actual
vi
set, the trick is to close the duality 'set/member' by replacing the member by the set: one of the
objects included in the set must be at once an existing element of the set and be the collection of
aIl its elements, constituting thereby the substantive junction underlying this duality.
This foundational object is usually called the zero of the set. In the set of performances of
obligations (prestations) with which we are dealing here, there must similarly be an element in
the nature of both a promise and a fact. That element is money. So money has a dual nature,
both concept and referent of the concept. The sum owed is performed in money and,
conversely, money is the sum transferred as payment: substituting one definition in the other,
the performance of the sum owed is the sum transferred, a formula leading to infinite regression.
Who then is the debtor of this sum transferred for as long as money did and will circulate? The
conceptual difficulty with money is to understand this metamorphosis, where the performance
of a fact in satisfaction of an obligation reveals itselfto be a promise. Why then bother to
distinguish a promise from the performance of it? Money cumulates the categorical nature of a
physical thing being delivered - in olden days gold, today paper-money - and the nature of a
sum owed; this way of thinking would tend to reify debts, to confer them physical existence.
Yet to owe money is fundamentally the duration of the term of a relationship between two
persons. And to pay money is to put an end to this term. So paradoxically, to express it in a
categorical duality, money has duration and at the same time it has none.
Such a union of the polar opposites of a duality is not unprecedented. To help the reader realise
this, l document how the theme of migration ofpecuniary value ofthings by means ofmoney
being given in payment of amounts owed is reminiscent of metempsychosis (migration of the
soul) used to conceptualise the foundation of the medieval Crown, the gift ofGod that
consecrated the continuity of successive reigns of an hereditary line of regents. At that time, the
historical continuity of the people was conceptualised by the King's two bodies: both that of an
individual and that of the set of individuals subject to his reign. Unique amongst aIl, one
foundational individual was considered to constitute a set of one. This platonic attitude was
believed necessary in public law to resolve the conceptual difficulty of the historical continuity
of a community despite the temporal nature of its individuals; it was put to similar use in private
law with respect to money.
The thesis of unity of performance of obligations - where, like in economics, the capacity to
exchange goods is considered an ordinary good itself - appears to rely on the same conception
of a necessary dual nature. In the universe of prestations, according to traditionallegal
scholarship, an infinite set of successive values taking shape over an indefinite period of time is
viewed as founded on a transcendental object which cumulates the opposite faces ofa duality:
both sum (of money) and thing, both right and act accomplished in the performance of an
obligation, both fact and future value. This traditional paradigm disregard the duality of
prestations: pecuniary and non-pecuniary. It does so by giving a substantive value to the non
vi-a
existence of a sumo
The explanation proposed here is one of structure. The universe of prestations is rather a
dichotomy of two distinct dualities: 10 a categorieal duality, that of the performance of specifie
prestations - where to have done something and not to have done it are characterised action and
abstention, and 20 a modal (circular) duality: to owe an amount in currency or (exclusively) not
to owe it, to have paid it or not. The obligation to deliver a particular performance to someone
is paired to the sum of money owed by him in consideration of it; we altemate from nonpecuniary
obligation to promises to pay an amount of money without one
being able to have his cake and eat it too at any time. But still, one amount owed follow another
thru money, money always being the tuming over of the sum owed. We are not obliged to state
that money exists, or that it does not; it suffiees to say that it extinguishes the sum owed. Not
only is the sum owed extinguished upon money being tumed (paid) in, but by virtue of
nominalism it still can extinguish anew a further sum of same amount; it is sufficient that a
creditor accept to be owed a sum ofmoney rather than to revert to the barter ofphysical things.
This new reading of the payment of obligations draw apart two types of reasoning. The
categorieal proof of a past specifie performance is different from the modality where the legal
consequence of the extinction of a sum due is tumed over into the a priori possibility to still
reiterate that same consequence against a sum that now may not yet be determined. The
possibility of an historieal continuity does not have the finite nature of a fact.
Money as an object transcends the concept of an ordinary object because it is circular: 'money'
is "the end of a sum (owed) and (is still) money". In the hereditary line of sums, created to be
extinguished or extinguished to be created, money is neither the predecessor nor a particular
successor; it is the function of continuously opening up the possibility of further successors.
Money is an abstraction and its unique character is confirmed in Canada since 1967. Once the
convertibility of paper-money is dropped, money is no longer a promissory note: no longer does
the central bank undertakes to exchange a bank note for gold or Dominion bonds. Paper-money
is now trivially replaced only by paper-money. Finally, the abstract character ofmoney gives
the central bank an most unusual status as a legal person. If the Crown is creditor of sorne
persons and debtor to others, then by contrast the central bank - who is not a bank - is neither
creditor, nor debtor ofpaper-money.
The problem of fitting money within the traditional categories of the law does have an
unexpected ending. Money presents itself as the complement of the concepts oflegal discourse.
The cashing in of a sum triggers the end of its term, but still it calls one anew, eventually. So
money is the bath of renewal of sums. In being characterised as neither... nor... it hops between
the two terms by altematively negating them.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/2371 |
Date | 11 1900 |
Creators | Leclerc, Normand |
Contributors | Mackaay, Ejan |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation |
Format | 31152288 bytes, application/pdf |
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