L’histoire du Jardin botanique de Bruxelles offre l’opportunité de prendre le pouls de la capitale et de ses développements successifs ; de la bourgeoisie du XIXème siècle, de ses passions et de ses fantasmes ; de la science nationale et internationale ; des rêves coloniaux qui habitèrent les souverains belges ; bref de la société belge dans ses multiples composants… quand elle n’entrouvrait pas la porte de l’intimité psychologique de certains intervenants majeurs du passé scientifique national.
En effet, le Jardin botanique fut d’abord l’expression d’une société anonyme créée sous le régime hollandais (1826) : la Société Royale d’Horticulture des Pays-Bas. Cette dernière devait enfin doter la capitale méridionale du pays d’un indispensable marqueur de sa modernité, à moindres frais pour la couronne. Dans ce modus operandi se lisaient la passion bourgeoise pour la nature (surtout exotique), certes, mais aussi son utopie, laquelle faisait dépendre le bien être de la société de l’esprit d’entrepreprise d’une classe. Il s’agissait d’une des premières sociétés anonymes belges, et l’immaturité de cet outil se paierait bien vite.
Alors qu’il avait été inspiré par le Jardin des Plantes du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris – archétype de l’institution scientifique nationale totalement soutenue par l’état – le jardin de Bruxelles revêtit une forme commerciale qui devait bien le servir, lorsque la crise qui suivit la Révolution de 1830 frappa les finances publiques du nouvel état belge. Dès ce moment, le Jardin botanique se lança dans une recherche effrénée de revenus, laquelle ne cesserait qu’avec le rachat du site par l’état belge, en 1870. Unanimement considéré comme magnifique, il n’avait survécu jusque là que grâce à l’écrin qu’il offrait aux réjouissances bourgeoises de la capitale, grâce à la vente d’une partie de sa surface à la faveur de la construction de la Gare du Nord, et à des augmentations successives des subsides versés par le gouvernement et par la capitale. En réalité, la science n’avait alors jamais vraiment élu domicile à la Porte de Schaerbeek… tout au plus avait-on tenté de la singer pour feindre de mériter les subventions nationales que les Chambres devaient approuver. La beauté remarquable de la propriété, sa fonction sociale d’écrin pour la vie événementielle bruxelloise, et sa fonction symbolique de révélateur d’état de civilisation, avaient été les clefs de sa longévité.
Le site fut donc racheté en 1870, à la suite d’une entreprise de persuasion, tenant parfois du lobbying, menée par Barthélémy Dumortier (1797-1878), célèbre homme politique catholique, et botaniste de renom. Il avait pour objectif de monter un équivalent belge des Royal Botanic Gardens de Kew, sur les ruines de ce jardin que la bourgeoisie avait abandonné à l’Etat, contre une somme ridicule et en sacrifiant les bénéfices de ses actionnaires.
Dumortier voulait donc créer un grand centre voué à la taxonomie, et avait fait acheter le célèbre herbier brésilien de F. von Martius à cette fin.
Après des années d’incertitude, marquées par des querelles internes, parfois fort menaçantes, le Jardin botanique de l’Etat échut à François Crépin, l’auteur de la fameuse Flore de Belgique.
Le Rochefortois ne cesserait de tenter de déployer son institution, parfois avec succès, mais elle pâtissait d’un handicap de taille : des liens trop étroits avec la Ville de Bruxelles et son université, bastions libéraux et maçonniques. Il en découla, dans une série de ministères uniformément catholiques, une intrumentalisation du Jardin botanique, teintée de mépris, à des fins politiques, et un sous- financement chronique peu propice à la modernisation scientifique de l’institution.
Le secours vint du besoin d’expertise scientifique et agronomique dont le Congo léopoldien avait cruellement besoin. Sous le bouclier du souverain de cet état indépendant, une institution scientifique belge trouva protection contre la malveillance des ministres belges, des milliers de feuilles d’herbier qui lui permirent de pratiquer légitimement une discipline bien essoufflée (la taxonomie), de s’y faire une niche et de devenir un des plus grands centres mondiaux en matière de botanique africaine. Ainsi, la colonisation donna-t-elle une base de replis à de grands fonds scientifiques, alors que les universités s’étaient emparées de la physiologie, et des nouvelles disciplines prometteuses. Ces bases de données sont aujourd’hui impliquées, en première ligne, dans les recherches suscitées par la grande inquiétude écologique contemporaine.
Miroir de la Belgique, le Jardin botanique de Bruxelles refléta beaucoup de ses gloires et de ses tourments, de ses querelles politiques et philosophiques, et même de ceux qui eurent le Congo pour cadre. Son rayonnement, jadis comme aujourd’hui, doit beaucoup à ce continent. Ainsi peut-on légitimement affirmer que le Jardin botanique fut et reste un enfant de l’Afrique.
Identifer | oai:union.ndltd.org:BICfB/oai:ulb.ac.be:ETDULB:ULBetd-12122006-121510 |
Date | 20 April 2006 |
Creators | Diagre, Denis |
Contributors | RAMMELOO Jan, HEIRWEGH Jean-Jacques, JAUMAIN Serge, BILLEN Claire, ELKHADEM Hossam |
Publisher | Universite Libre de Bruxelles |
Source Sets | Bibliothèque interuniversitaire de la Communauté française de Belgique |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | text |
Format | application/pdf |
Source | http://theses.ulb.ac.be/ETD-db/collection/available/ULBetd-12122006-121510/ |
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