Return to search

Description du récit de vie et de la manière de se le remémorer chez des adolescentes sévèrement agressées sexuellement : une étude exploratoire à cas multiples

L’agression sexuelle (AS) à l’enfance est une problématique préoccupante. Au Québec, près d’une femme sur cinq et un homme sur dix rapportent avoir été victime d’AS durant l’enfance ou l’adolescence (Hébert, Cyr et Tourigny, 2012). Les conséquences d’une AS à l’enfance peuvent être variées et multiples. Certains auteurs ont développé le concept du traumatisme complexe (Herman, 1992; Cook, Blaustein, Spinazzola et van der Kolk, 2003; Cook, Spinazzola, Ford, Lanktree, Blaustein, Cloitre et al. 2005; van der Kolk 2007). L’AS à l’enfance est reconnue comme pouvant être à la source de ce type de trauma (Herman, 1992). En effet, la chronicité des AS ainsi que le contexte de captivité des victimes, notamment des AS de type intrafamiliale, sont à la source d’une constellation particulière des conséquences appelée le trauma complexe. Le domaine de conséquence du trauma complexe choisi pour l’étude actuelle est l’autorité sur le processus de remémoration. Ce domaine est compris comme la capacité de la victime du trauma de choisir de se rappeler ou non d’éléments reliés de près ou de loin au trauma (Harvey, Liang, Harney, Koenen, Tummala-Narra et Lebowitz, 2003). Un des champs de recherche associée de près à ce domaine de conséquences du trauma complexe est la mémoire autobiographique. La mémoire autobiographique est une composante importante dans le développement d’un individu qui contribue au sentiment d’identité (Conway et Pleydell-Pearce, 2000; Nelson et Fivush, 2004) et qui est crucial dans le développement global chez une population adolescente. Il est donc important d’étudier ce sujet chez une population adolescente puisqu’on sait que c’est une période charnière dans le développement de l’identité, et que si la mémoire autobiographique est affectée il faut pouvoir saisir ses impacts pour optimiser le rétablissement de la victime.


Les objectifs de cette étude sont premièrement, de décrire le contenu du récit de vie des adolescentes victimes d’AS. En second lieu, de décrire la manière dont les adolescentes se remémorent et racontent leur récit de vie. Finalement, le dernier objectif est de comparer la manière de se remémorer le récit de vie des adolescentes selon qu’elles présentent ou non des symptômes d’intensité clinique de dissociation ou de stress post-traumatique (SPT).

Dans le cadre de ce mémoire, l’étude de cas multiple a été choisie comme devis. Les participantes sont huit adolescentes desservies par deux centres jeunesse du Québec. Ces dernières ont été sélectionnées parmi un échantillon de 43 adolescentes tirées d’une étude plus vaste. Les adolescentes ont été choisies selon la sévérité de leur AS en termes de présence de chronicité des épisodes d’AS, de présence de pénétration et de coercition. Un codage thématique a été réalisé à partir de l’entrevue menée à l’aide du Multidimensional trauma, recovery and resiliency interview (Harvey, Westen, Lebowitz, Saunders et Harney, 1995). Différentes caractéristiques ont été observées dans leurs récits de vie. Le premier objectif visait à examiner les événements relatés, les personnes impliquées puis la valence émotionnelle des événements. Le second objectif visait à évaluer les caractéristiques liées à la mémoire (spécificité, utilisation de repères spatio-temporels, trous de mémoire, souvenirs intrusifs) puis la capacité de raconter une histoire de vie cohérente (organisation, continuité chronologique du séquençage, couverture de toutes les périodes de vie). Finalement, dans le troisième objectif, les éléments d’analyse de l’objectif deux ont été repris tout en observant les ressemblances et les différences entre les adolescentes selon qu’elles présentent des symptômes d’intensité clinique de dissociation ou de SPT.

Les résultats obtenus démontrent que les adolescentes parlent davantage d’événements négatifs dans leur récit de vie, que d’événements neutres ou positifs. Les adolescentes évoquent principalement leurs changements de milieux de vie (famille d’accueil, centre jeunesse, etc.), leurs relations difficiles avec les garçons, leur AS, ainsi que d’autres événements éprouvants comme la séparation de leurs parents, des altercations vécues avec des membres de la famille ou d’autres pairs, des menaces subies par elles ou par leur fratrie et des difficultés scolaires. Elles parlent beaucoup de leur famille et de leurs relations amoureuses ainsi que de l’auteur (ou des auteurs) de l’AS et de certains professionnels gravitant autour d’elles. Sur le plan de leur remémoration, quatre adolescentes seulement présentent des souvenirs spécifiques, cinq adolescentes présentent des trous de mémoire puis quatre d’entre elles ont des souvenirs intrusifs. Les adolescentes utilisent plus de repères spatiaux que temporels, le nombre de repères utilisés varie beaucoup d’un récit à l’autre. La plupart des adolescentes ont un récit qui respecte une trame chronologique. Cinq adolescentes couvrent minimalement chaque période de vie (petite enfance, enfance, adolescence). Pour le troisième objectif, seule une différence sur le plan des adolescentes présentant des difficultés d’intensité clinique de dissociation est observable. En effet, ces dernières rapportent davantage d’éléments du vécu actuel (année en cours) que du passé. De plus ce sont elles qui évoquent le moins de souvenirs du passé.

Sur le plan scientifique, cette étude a permis d’apporter de nouvelles connaissances d’un point de vue qualitatif sur un des domaines de conséquences du trauma complexe. Les principales forces méthodologiques de cette étude sont l’utilisation d’un échantillon d’adolescentes, l’établissement d’un modèle conceptuel de l’évaluation de la mémoire autobiographique, en plus d’un devis d’études de cas multiples permettant une exploration en profondeur de l’expérience vécue. Par contre, la présente étude comporte certaines limites. Par exemple, quelques divergences sont observables au niveau de la collecte de donnée à l’aide du questionnaire SARS ou encore au niveau de la passation de l’interview à l’aide du MTRR-I. Le manque de groupe témoin ou encore la concomitance avec d’autres mauvais traitements peut aussi limiter l’interprétation des résultats. Finalement sur le plan de l’intervention, les résultats permettent de montrer qu’il est important d’évaluer différents aspects de la remémoration dans un récit de vie. Le modèle conceptuel créé dans l’étude actuelle permet cette observation en profondeur des qualités de la remémoration. Suivant le modèle du rétablissement en trois étapes à la suite d’un trauma complexe (Herman, 1992; Lebowitz, Harvey et Herman, 1993), un travail clinique peut être entamé. En premier lieu, la sécurité immédiate de la victime et la gestion des symptômes doivent être assurées avant d’entamer la remémoration. Au moment de la deuxième étape, il est important de considérer que la remémoration doit être guidée de manière à respecter le rythme de la victime. Par la suite, la renégociation des relations peut être amorcée.

Identiferoai:union.ndltd.org:usherbrooke.ca/oai:savoirs.usherbrooke.ca:11143/11550
Date January 2017
CreatorsMartel-Théorêt, Ariane
ContributorsPaquette, Geneviève
PublisherUniversité de Sherbrooke
Source SetsUniversité de Sherbrooke
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeMémoire
Rights© Ariane Martel-Théoret, Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 2.5 Canada, http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.5/ca/

Page generated in 0.0032 seconds