Construite à la fin des années 90 et désormais régulièrement employée comme instrument de mesure et d’analyse dans de nombreux pays, la catégorie NEET, désignant les jeunes ni en emploi, ni aux études, ni en formation établit un pont entre deux « problèmes publics » : le décrochage scolaire et le chômage des jeunes. Enjeu institutionnel et scientifique émergent au Canada et au Québec, les jeunes en situation NEET figurent comme premier axe d’intervention du Secrétariat à la jeunesse québécois depuis 2016. Cette catégorie permet une mesure plus précise et un portrait plus fin des jeunes en retrait des sphères traditionnellement reconnues d’intégration des études et de l’emploi. Cependant, les orientations institutionnelles et les représentations sociales sous-jacentes à son usage ouvrent la voie à un ensemble de stigmatisations. Ainsi, dans le contexte québécois au sein duquel la focale institutionnelle se concentre sur la « pénurie de main-d’œuvre », il émerge un répertoire d’arguments symboliques alimentant une lecture institutionnelle et sociale de la situation NEET à travers le « désengagement », la « passivité » et la responsabilité individuelle.
S’appuyant sur 36 entretiens réalisés avec des jeunes en situation NEET dans différentes régions du Québec, cette thèse prend le parti d’inverser le regard en étudiant le rapport de ces jeunes aux normes sociales à travers lesquelles ils sont eux-mêmes jugés et catégorisés comme non-conformes aux attentes institutionnelles et sociales. Tout en rendant compte des épreuves communes auxquelles font face ces jeunes, cette recherche explore ainsi les déterminants et fondements des différentes manières qu’ont ces jeunes d’interagir avec la normativité du travail et les principes du modèle méritocratique. Trois logiques d’interaction avec les normes de travail, de mérite et de réussite émergent, nous renseignant également sur les différentes façons de donner sens à leur situation NEET :
- Une logique de résistance, se traduisant par un retrait assumé du système éducatif et du marché du travail, subjectivement justifiée par une indignation vis-à-vis des conditions du marché du travail et une mise à distance des normes socialement valorisées de mérite et de réussite.
- Une logique d’intériorisation, à ne pas confondre avec l’apathie, s’inscrivant dans un fort sentiment de dévalorisation de soi et de responsabilité individuelle dans la difficulté à se sortir d’une situation source de souffrance sociale. Un fort pessimisme quant à un avenir désirable émerge et s’incarne dans un repli sur le présent.
- Une logique de compromis au sein de laquelle les jeunes s’appuient sur l’espoir et la confiance en la réversibilité de leur situation, ainsi que la valorisation des efforts, afin de maintenir leur adhésion à la normativité du travail et à la méritocratie.
En filigrane, cette thèse montre le déplacement d’une catégorie d’action publique vers une catégorie sociale à fortes connotations morales, nous renseignant autant sur ces jeunes que sur nos propres normes et grilles de lecture. Elle permet ainsi de comprendre la manière dont l’étiquetage de non-conformité attribué aux jeunes en situation NEET s’inscrit dans une perspective de l’utilité sociale mesurée et restreinte au productif, illustrant tout le mal que l’on a à reconnaitre et légitimer, en tant que société, les manières d’être et agir s’écartant des assignations capitalistes.
Sans adopter une démarche de prescription d’actions publiques, cette thèse rend compte de la nécessité de réorienter les logiques d’adaptation de ces jeunes vers une interrogation collective quant aux conditions dans lesquelles ces derniers sont pressés à se réintégrer. À rebours des représentations du « désengagement » et de « l’apathie », les jeunes rencontrés dans le cadre de cette recherche, bien que s’inscrivant dans une condition précaire et une constellation de désavantages, interrogent les normes sociales structurant nos parcours de vie. Il en résulte la nécessité, d’un point de vue scientifique, de ne pas présupposer que la capacité à remettre en cause le système de valeurs dominantes soit l’apanage des jeunes diplômés. Dans la continuité de cette idée, cette thèse invite à considérer un ensemble de registres subjectifs dans l’appréhension des aspirations, du mérite et de la réussite, et offre des pistes afin de saisir les colères, frustrations, mais également les ressources, de jeunes davantage invisibilisés qu’« invisibles ». / Developed at the end of the 1990s and now regularly used as a measurement and analysis tool in many countries, the NEET category, which refers to young people who are neither in employment, education nor training, bridges two "public problems": school dropout and youth unemployment. As an emerging institutional and scientific issue in Canada and Quebec, youth in NEET situations have been the primary focus of the Quebec Youth Secretariat since 2016. This category allows for a more precise measurement and a finer portrait of young people who are outside the traditionally recognized spheres of integration of education and employment. However, the institutional orientations and social representations underlying its use open the way to a series of stigmatizations. Thus, in the Quebec context, where the institutional focus is on the "labour shortage", a repertoire of symbolic arguments emerges that feeds an institutional and social reading of the NEET situation through "disengagement", "passivity" and individual responsibility.
Based on 36 interviews conducted with young people in NEET situations in different regions of Quebec, this thesis takes the approach of reversing the perspective by studying the relationship of these young people towards the social norms through which they themselves are judged and categorized as not conforming to institutional and social expectations. While accounting for the common challenges faced by these young people, this research explores the determinants and foundations of the different ways in which these young people interact with the normativity of work and the principles of the meritocratic model. Three logics of interaction with the norms of work, merit and success emerge, also informing us about the different ways they make sense of their NEET situation:
- A logic of resistance, resulting in an assumed withdrawal from the educational system and the labor market, subjectively justified by an indignation towards the conditions of the labor market and a distancing from socially valued norms of merit and success.
- A logic of internalization, not to be confused with apathy, inscribed in a strong feeling of self-depreciation and individual responsibility for the difficulty of getting out of a situation that is a source of social suffering. A strong pessimism about a desirable future emerges and is embodied in a withdrawal into the present.
- A logic of compromise in which young people rely on their confidence in the reversibility of their situation and the valuing of their efforts to maintain their adherence to the normativity of work and meritocracy.
This thesis shows the shift from a category of public action to a social category with strong moral connotations, giving us information about these young people as well as our own norms and reading grids. It thus allows us to understand the way in which the label of non-conformity attributed to young people in NEET situations is part of a vision of social utility measured in terms of productivity, illustrating the difficulty we have in recognizing and legitimizing, as a society, ways of being and acting that deviate from capitalist assignments.
Without adopting an approach of prescribing public actions, this thesis considers the need to reorient the logics of adaptation of these young people towards a collective questioning of the conditions under which these young people are pressed to reintegrate. In contrast to the representations of "disengaged" and "apathetic" youth associated with NEET, the young people we met in this research, although in a precarious condition and a constellation of disadvantages, question the social norms structuring our life paths. As a result, it is necessary, from a scientific point of view, not to presuppose that the ability to question the dominant belief system and values is the prerogative of young graduates. In line with this idea, this thesis invites us to consider a set of subjective registers in the apprehension of aspirations, merit, and success, and offers avenues to grasp the anger, frustrations, but also resources of young people who are more invisiblized than "invisible".
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/27853 |
Date | 08 1900 |
Creators | Guatieri, Quentin |
Contributors | Van de Velde, Cécile, Duvoux, Nicolas |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | fra |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
Format | application/pdf |
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