« Je ne peux pas supporter mon vrai nom, je me sens aussitôt coincé » affirme le narrateur de Pseudo, roman que Romain Gary a signé de son pseudonyme Émile Ajar. Il ajoute qu’il a « tout essayé pour [se] fuir » et en particulier tenté d’apprendre des langues très éloignées de la sienne, voire d’inventer sa propre langue. Comme Gary, certains écrivains ont considéré leur langue maternelle ou leur patronyme comme des carcans limitant leurs possibilités. Pour tenter de « tout sentir, de toutes les manières » (expression de Pessoa) ils ont pu changer de langue ou prendre des pseudonymes. Afin d’étudier conjointement le plurilinguisme et la pseudonymie, nous avons choisi un corpus de quatre auteurs du XXe siècle : le poète portugais Fernando Pessoa (1888-1935), le romancier russo-américain Vladimir Nabokov (1899-1977), l’écrivain argentin Jorge Luis Borges (1899-1986) et le romancier français Romain Gary (1914-1980). Tous les quatre se situent au carrefour de plusieurs langues et cultures. Maîtrisant le français et l’anglais en plus de leur langue maternelle, ils ont utilisé l’anglais comme deuxième langue d’écriture et ont pratiqué la traduction et/ou l’autotraduction. De plus, ils ont tous pris des pseudonymes et se sont inventé des doubles d’écrivains fictifs. Le concept pessoen d’hétéronyme (très lié à son plurilinguisme) nous a permis d’éclairer les pratiques des trois autres auteurs. Pour cela, nous avons comparé les principaux hétéronymes de Pessoa avec Bustos Domecq (pseudonyme commun à Borges et à Bioy Casares), Émile Ajar (pseudonyme de Gary, incarné par un homme de paille, Paul Pavlowitch) et Sirine (le double russe de Nabokov). Comme la traduction, l’écriture hétéronymique nécessite une certaine dépersonnalisation. Et comme l’autotraduction, elle oblige un auteur à se confronter à un alter ego. Pour écrire dans une autre langue ou inventer un style nouveau dans la sienne, il faut renoncer à une certaine maîtrise et à une part de soi. L’hypothèse de notre travail est que les changements de langues et/ou de noms effectués par ces auteurs constituent finalement moins un rejet de leur identité qu’une façon détournée de faire route vers soi. En les libérant d’eux-mêmes, les hétéronymes leur ont permis de s’observer avec plus de recul, de commenter leur propre œuvre comme si c’était celle d’un autre et de se confier davantage. Il en va de même pour l’écriture dans une langue seconde qui crée, elle aussi, une certaine distance propice aux confessions et aux expérimentations. / “I cannot stand my real name, I feel immediately stuck” says the narrator of Pseudo, a Romain Gary novel authored under his pseudonym, Émile Ajar. He adds that he “has attempted everything to run away from [himself]”. He tried specially to learn different languages and even to invent his own. Like Gary other writers have considered their mother tongue or their surname as restraints limiting their possibilities. In order to “feel everything in every way” (Pessoa’s expression) they would change their language or use pseudonyms. To jointly study multilingualism and the use of pseudonyms, we focused on four 20th century authors: the Portuguese poet Fernando Pessoa (1888-1935), the Russian-American novelist Vladimir Nabokov (1899-1977), the Argentinian writer Jorge Luis Borges (1899-1986) and the French novelist Romain Gary (1914-1980). The writings of all four authors are at the intersection of several languages and cultures. In addition to their mother tongue, they each mastered French and English. They used English as a second language for their writing, were translators and/or self-translators. Additionally, all four took pseudonyms and invented fictitious alter egos. Pessoa’s concept of heteronym (closely connected to his multilingualism) allowed us to shed light on the work of the three other authors. To do this, we compared Pessoa’s main heteronyms with those of Bustos Domecq (pseudonym of Borges and Bioy Casares), Emile Ajar (pseudonym of Gary, embodied as the straw man Paul Pavlowitch) and Sirine (Nabokov’s Russian alter ego). Like translation, heteronymous writing requires some depersonalization. And like self-translation, it forces the author to confront an alter ego. To write in another language or to invent a new style in one’s own language, one must renounce a part of one’s self. This thesis aims to show that for these authors using pseudonyms and writing in different languages represents less of a rejection of their identities than an indirect way to come back to themselves. Freed from themselves by their heteronyms, they can better appreciate who they are, be self-critical and thus they can open their hearts to their readers. Writing in a second language also creates a certain distance that enables them to confess and experiment.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2019BOR30026 |
Date | 01 July 2019 |
Creators | Mollaret, Damien |
Contributors | Bordeaux 3, Poulin, Isabelle |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | English |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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